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Madoussou Touré, l’Ivoirienne qui lutte contre la précarité menstruelle en prison

"Déjà que dehors c’est chaud, alors en prison c’est mille fois chaud !" Pour s’attaquer à la précarité menstruelle en Côte d’Ivoire, Madoussou Touré a choisi de cibler les détenues. À 43 ans, la responsable de la petite ONG SMED-CI (soutien aux mères et enfants en détresse de Côte d’Ivoire) lance chaque mois, depuis un an, un appel aux dons sur les réseaux sociaux, avant de les livrer directement en prison. Foulard en batik sur la tête, elle prend le volant de sa camionnette, le coffre chargé de centaines de paquets de serviettes hygiéniques, direction la Maca, la sulfureuse maison d’arrêt d’Abidjan.

Plus de 200 femmes y sont incarcérées, sans accès aux protections périodiques. "Avant, même pour trouver un chiffon, c’était difficile", glisse une assistante sociale de la prison, qui fait remonter à Madoussou Touré les besoins spécifiques : des couches pour les femmes âgées incontinentes, des serviettes pour celles qui viennent d’accoucher…

L’énergique Madoussou, sans complexes et toujours entre deux coups de fil, s’est mis en tête de lutter contre la précarité menstruelle il y a un an. Elle vient alors de s’apercevoir que sa femme de ménage n’utilise pas de serviettes, mais des chiffons, "moins hygiéniques". En Côte d’Ivoire, près d’un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale. Aujourd’hui, cette experte en genre demande à l’État de détaxer voire de rendre gratuits les paquets de serviettes hygiéniques, qui coûtent 500 francs CFA (0,8 euro). "Pour le même prix, certaines préfèrent acheter un kilo de riz pour nourrir leur famille", remarque-t-elle.

Ce sont des hommes aux postes de décision et ils n’y ont même pas pensé

Ne pouvant aider toutes les femmes, cette juriste de formation a pensé aux prisonnières, les plus démunies. Elle s’est tournée vers le ministère de la Justice pour connaître la composition des colis qu’il leur fournit. "Il y avait du savon, de la javel… mais pas de serviettes hygiéniques. Ce sont des hommes aux postes de décision et ils n’y ont même pas pensé", déplore Madoussou Touré. Elle regrette d’ailleurs que le ministère ne se soit pas inspiré de son action pour adapter le modèle à d’autres prisons. "Je crois qu’ils n’ont pas compris l’intérêt", soupire-t-elle.

Après avoir difficilement obtenu l’autorisation du ministère pour sa première distribution, elle entre enfin dans la Maca. "J’avais peur. J’imaginais qu’on allait perdre ma carte d’identité, ou alors qu’il y aurait une évasion et qu’on me prendrait pour une détenue… j’avais tous les scénarios dans ma tête."

Finalement, l’accueil est même démesuré. "Quand j’ai vu l’engouement des assistantes sociales, je me suis dit que ce n’était pas normal. Il y avait un tel manque." Ce qui devait être un don ponctuel devient alors une mission mensuelle. Madoussou Touré aimerait désormais étendre ces dons aux autres prisons de Côte d’Ivoire, et pourquoi pas aux écoles. "Mais ça, c’est un vaste programme que je n’ose même pas imaginer", se retient-elle.

Dans un pays où les règles sont taboues, pourquoi ose-t-elle en parler ? "Moi je n’ai pas honte… peut-être parce que je suis moi !, lance-t-elle en éclatant de rire. On parle de choses bien pires que ça… donc pourquoi pas des règles ?"


Auteur: Amandine Réaux
Source : https://www.rtbf.be/

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